À l'aube de ce monde

— Gladio ! Non !

Bien qu’elle ait hurlé, sa voix ne lui parvint pas vraiment.

L’imposante silhouette du cœurl mutant bondit près d’elle pendant qu’elle se relevait, pressant d’une main la plaie sanguinolente de son ventre. Elle n’avait que faire de la douleur qui la traversait. Ce n’était qu’un détail dans l’instant présent.

Le cœurl ne fit pas attention à elle ; c’était après le guerrier qu’il en avait. Il fit claquer ses mâchoires dans sa direction et porta son poids sur son arrière-train, se préparant à attaquer. Sa cible leva le bras, prêt à invoquer son arme. La jeune femme réalisa avec horreur qu’il ne serait jamais assez rapide. La bête qui s’élançait lui aurait déchiqueté la gorge avant que la poignée de son épée apparaisse.

Un hurlement déchira l’air.

Une main toujours sur le ventre, elle tendit l’autre en avant alors que le cœurl était presque sur Gladiolus. La magie afflua, puissante et vive, formant un bouclier translucide aux teintes bleutées.

Le guerrier n’eut pas le temps de comprendre ce qu’il se passait que le cœurl mutant heurtait avec force le bouclier. L’onde de choc qu’il provoqua fut absorbée et aussitôt renvoyée vers lui. La bête fut projetée contre le mur dans un craquement sinistre. Puis, elle tomba sur le sol dans un bruit mat, plus aucun muscle ne tressaillant sous sa peau.

Le bouclier disparut et Gladiolus laissa retomber son bras. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais la jeune femme devant lui fut plus rapide.

— Partez ! cria-t-elle. Faites demi-tour et sortez d’ici. Trouvez le Cristal !

— Non ! tempêta Gladiolus. Il est hors de question que tu…

— Vous devez partir, le coupa-t-elle en détournant les yeux. Vous… On sait tous qu’il n’y a qu’un seul moyen de lever le dernier verrou pour accéder au Cristal.

— On peut trouver une autre solution ! Il y a forcément un autre moyen ! tenta Prompto.

Elle secoua la tête. Elle aurait aimé que ça soit le cas. Mais elle devait agir sans faillir. Sa vie entière l’avait conduite ici. C’était son devoir.

— Non, Prompto, souffla-t-elle. Il n’y a pas d’autre solution. Ardyn y a veillé. Partez. S’il vous plaît.

Quelque chose monta dans sa gorge qu’elle tenta d’étouffer. Elle n’était pas assez forte pour que personne ne doute de sa capacité à réussir. Et elle leur causait du souci. Même d’ici, elle voyait les yeux bleus de Prompto briller.

Celui-ci la fixait, un peu incrédule, alors que les mâchoires de Gladiolus se contractaient. Noctis et Ignis, eux, avaient choisi de ne rien dire, ce qui l’arrangeait. Si ce dernier avait le regard sévère et les poings serrés, le roi élu, lui, avait l’air résigné.

Gladiolus fit un pas vers elle. Elle recula même si son cœur lui hurlait de faire l’inverse. S’il approchait trop, s’il voulait la raisonner… elle n’était pas certaine que sa volonté tienne bon. Elle n’aurait qu’envie de se dérober et de chercher une solution qui n’existait pas.

Elle ne pouvait pas faire machine arrière. Ne le devait pas.

Je suis une arme. Je suis une arme, se répéta-t-elle, amère.

Sa paume ensanglantée se leva devant elle.

— Je t’en prie, Gladio, dit-elle d’une voix tremblante. Au fond de toi, tu sais que c’est le seul moyen.

Un grincement métallique retentit et elle n’entendit pas la réponse qu’il lui adressa. Elle en devinait sa teneur.

Il avança encore vers elle. Une poutre en métal tomba du plafond et s’écrasa non loin d’eux, sans qu’aucun ne cille pour autant. Ils continuaient de se fixer dans les yeux.

Gladiolus finit par se retrouver assez près d’elle pour pouvoir toucher sa main tendue. Il ne capitulerait pas. Luttant contre elle-même, elle usa de sa magie le plus doucement qu’elle put pour le forcer à reculer. Elle vit son corps se tendre et batailler. La jeune femme sentit son cœur commencer à se fendre. Une larme coula sur sa joue alors que des flammèches crépitaient près d’elle. La salle risquait à tout instant de prendre feu.

Repoussé par sa magie, Gladiolus se retrouva au niveau de ses amis. Il fit un mouvement en avant quand il la sentit faiblir, déterminé à ne pas abandonner aussi facilement.

D’un geste de la main, la jeune femme blessée fit apparaître un mur de magie brumeux que nul ne pourrait franchir.

Elle l’entendit crier son prénom mais ne répondit pas, la gorge nouée. Quelqu’un posa une main sur l’épaule de Gladiolus et elle devina qu’il s’agissait d’Ignis. Leurs voix ne lui parvenaient pas mais elle comprit qu’ils allaient partir quand la silhouette de Prompto se prit la tête entre les mains avant de se diriger vers l’escalier.

La jeune femme les regarda encore un instant à travers la brume de sa magie. Elle vit Gladiolus lever le bras et Masamune, sa légendaire épée, apparaître. Il leva son arme et l’abattit lourdement sur la rambarde de l’escalier qu’il trancha en partie. Ignis se rapprocha, le bras tendu vers son ami, mais celui-ci se déroba vivement. Masamune disparut dans un éclat bleuté et Gladiolus passa devant Prompto pour disparaître un étage plus bas.

De l’autre côté du mur magique, le cœur de la jeune femme termina de se fendre. Elle avait envie de hurler. Mais elle ne le pouvait pas. Elle devait continuer. Avancer, traverser ce couloir, rejoindre la prochaine salle où l’attendait la suite de l’épreuve. Elle devait réussir.

La porte se referma derrière elle. Le couloir était quasiment privé de tout : de lumière et de son. Seuls ses propres pas brisaient le silence oppressant.

La pièce qui s’ouvrit devant elle était un simulacre de salle du trône. Il était justement la seule chose qui se trouvait là, contre l’un des murs. Taillé dans la pierre, large, son dossier avoisinant les deux mètres cinquante, il paraissait néanmoins petit dans cette pièce faite de métal, à l’instar de toutes les autres.

La jeune femme se crut seule. Jusqu’à ce qu’elle entende des pas derrière elle.

— Ainsi donc, le Lucis n’a qu’une fille à envoyer pour tenter de me renverser.

Elle se retourna vivement, les mains sur ses dagues, prête à les dégainer.

Elle ne le reconnut pas tout de suite. Il était plus jeune sur les rares photos qu’elle avait vues de lui. Maintenant, il avait l’air vieux et malade. Son visage était creusé, ses yeux enfoncés, sa barbe inégale. Ses cheveux étaient devenus totalement blancs, aussi blancs que le long manteau qui masquait son corps frêle.

Iedolas Aldercapt. L’Empereur du Niflheim.

Il rejoignit son trône sans se presser, les mains dans le dos, sans non plus accorder un regard à la fille qui se trouvait là. Il fit cliqueter ses ongles sur les accoudoirs sur trône lorsqu’il s’y fut installé.

— Une fille. Une seule et pauvre fille. Le Lucis n’a donc rien de mieux à me proposer.

À ces quelques paroles, la « pauvre fille » en question comprit que l’Empereur n’était pas au courant de tout. Peut-être même était-il dans l’ignorance la plus totale. Elle était loin d’être seule. En ce moment, les garçons étaient en train de rejoindre le Cristal. Sauf qu’il ne s’en doutait pas.

Ses doigts tapotaient le manche de ses dagues.

Elle ne voulait pas tuer. Des robots, des monstres, des daemons, c’était une chose. Un être de chair et de sang, même pourri jusqu’à la moelle, c’en était une autre. Néanmoins, si l’Empereur avait été mis sur son chemin, ce n’était pas par hasard.

— Voyons qui nous avons là, lança une autre voix derrière elle.

Elle n’aurait pas le temps de se poser des questions existentielles.

En pivotant, elle put avoir les deux hommes dans son champ de vision.

Le nouveau venu était plus jeune. Il arborait des cheveux gris, un long manteau blanc également, mais brodé de gris. Il posa la pointe de son épée devant lui et elle put voir que son bras gauche était une prothèse mécanique.

Elle n’était pas certaine de ce qu’elle allait avancer. Elle ne l’avait jamais vu avant, pas même en photo, elle ne connaissait que son nom et sa réputation.

— Le Grand Commandant de l’armée impériale, dit-elle à mi-voix.

Ravus, Grand Commandant de son état, attaqua de nouveau, mais sur le côté cette fois. Elle l’évita d’une roulade qui réveilla la douleur dans son ventre. Sa magie l’endigua un peu, à son soulagement.

Elle esquivait et parait quelques coups mais ne cherchait pas à blesser l’homme qui la défiait. Cependant, l’épée siffla si près de son cou qu’elle fut décidée à utiliser sa magie. Elle voulait l’économiser, mais le Grand Commandant ne la laisserait pas souffler. Le fil de la lame passa à nouveau trop près de son cou à son goût, lui donnant l’amère impression que Ravus essayait de la décapiter.

Lorsqu’il visa son flanc, elle gronda. Elle saisit ses deux dagues dans une main et leva l’autre à hauteur de poitrine. En étendant ses doigts d’un coup sec, sa magie fut extraite de son corps en une vague puissante. Celle-ci balaya la pièce si fort que la jeune femme en tituba.

Près d’elle, Ravus dut planter son épée dans le sol de métal et s’y cramponner d’une main en se protégeant le visage de l’autre.

Il sourit, mais cela échappa à la jeune femme.

Les choses sérieuses allaient vraiment commencer.