Prologue
Les couloirs vides résonnaient du bruit de ses pas, leur écho se répercutant sur le marbre noir comme le tic-tac d’une horloge. La Lune projetait sa lumière argentée au travers des fenêtres soigneusement nettoyées par les serviteurs ; pas une seule trace ne venait entacher le prestige qui se dégageait de cet endroit.
Elle ne croisa que peu de vie, à cette heure. Après tout, le jour venait seulement de se lever, et nombreux étaient ceux à être encore plongés dans le royaume des rêves. Mais le peu d’individus qu’elle avait croisée s’était contentés de lui passer devant, les yeux baissés pour ne pas croiser son regard. Qui ne se sentirait pas intimidé en voyant une silhouette vêtue d’une vieille cape usée et d’un masque de femme en pleur déambuler seule dans un corridor vide, son épée accrochée à la taille ?
La tempête grondait dans le ciel, d’épais nuages grisonnant couvrant les Terres Fracturées plongées sous un véritable déluge. La pluie tombait drue, s’abattant avec la force d’un millier de poignards sur la cavalière. Le vent hurlait, griffant ses doigts rougis par le froid. Mais elle ne ralentit pas pour autant, chevauchant son imposant pur-sang à travers une Alhéna silencieuse, sa robe d’un noir de nuit se fondant dans le décor. « Tempête de merde », pesta la cavalière.
Elle remercia silencieusement les cieux de lui avoir accordé une monture aussi robuste, sa robustesse et son endurance compensant largement son intelligence plus que limitée, la bête affrontant la tempête sans ciller. Mais elle savait mieux que personne que toute créature atteignait tôt ou tard ses limites.
La jeune femme gravit l’infinité de marches qui se dressait devant elle, et arriva enfin au sommet de la plus grande tour de Luminia. Elle s’arrêta devant la porte de bois sombre frappée de l’étoile à sept branche, le symbole du Conseil des Reverius, et resta un instant plantée là, aussi immobile qu’une statue. Aucune de ses tentatives de chasser le nœud dans son ventre n’avait fonctionné, aussi la jeune femme se contenta-t-elle d’inspirer un grand coup, et poussa ladite porte.
Sa patience arrivée à son terme, la bête s’ébroua, projetant sur sa cavalière une pluie de gouttes aussi froides que la glace, arrachant une série d’insultes à cette dernière. Voyant que la tempête ne cessait de gagner en force, elle prit la décision de s’arrêter au pied d’un vieil arbre biscornu, ses branches tordues s’élevant tels des doigts noueux au-dessus de sa tête. Au moins serait-elle protégée de la pluie, ici.
Elle attacha sa monture au tronc et alluma un petit feu de camp, espérant que sa lumière n’attirerait aucune présence déplaisante.
Le froid la gelait jusque dans ses os, et la jeune femme ramena sur elle les pans de sa vieille cape miteuse. La fatigue embrumait son esprit, et elle pouvait déjà les sentir s’agiter dans les recoins sombre de sa mémoire.
« Je suis tellement désolé »
« Je t’attendais. »
Agenouillée au milieu de l’étoile à spet branches sur le sol de marbre de la salle des trônes, son masque de fer posé devant elle lui rendant son regard de ses yeux vides, la jeune femme attendait, tête baissée vers le sol, pour ne pas avoir à croiser le regard de l’homme face à elle.
« J’ai une nouvelle mission, à te confier. Rien de bien compliqué, pour quelqu’un tel que toi. »
Debout sur la pointe de l’étoile, il tournait le dos aux sept trônes placés au fond de la pièce, au sommet d’une série de sept marches. Il n’était pas un homme cruel, ni même un immonde connard sadique comme la plupart des personnalité de haute naissance d’Alhéna, mais le simple fait de poser les yeux sur lui lui donnait l’impression de pouvoir se les y brûler. Une telle aura émanait de lui qu'elle semblait emplir toute la pièce à elle seule
« Une nouvelle étoile a éclos, attendant patiemment d’être récupérée par tes soins. »
La jeune femme garda le silence, écoutant sans interrompre et ne s’autorisant à prendre la parole qu’une fois certaine qu’il avait fini de parler. « Où dois-je me rendre ? »
— Dans l’ouest, au cœur de Nervalam. Un petit village sans importance, tu ne devrais y rencontrer aucune résistance. »
La jeune femme fit mine de se relever, mais s’arrêta net lorsqu’il s’avança vers elle, ses pas résonnant ans le silence de la pièce. Une paire de chaussure soigneusement cirées s’arrêter juste devant elle, les pans de son long manteau d’un blanc éclatant tombant si bas qu’il en atteignit presque le sol. La pression de son regard lui donna l’impression d’étouffer, chaque muscle de son corps aussi tendu que la corde d’un arc. Une main se posa sur le sommet de son crâne, caressant ses cheveux avec une douceur terrifiante. Elle pouvait sentir la puissance pulser sous sa peau avec la même force que son cœur dans sa poitrine.
« Tu es l’un de nos meilleurs éléments, lui susurra-t-il. Sa voix avait la douceur d’une brise et la force d’un ouragan. Puis-je compter sur toi pour mener cette mission à bien ? »
La femme déglutit péniblement, une boule de la taille de son poing en travers de la gorge. « Vous le pouvez, votre Luminescence. »
Elle n’eut pas besoin de croiser son regard séculaire pour y percevoir la lueur de satisfaction qui y brillait. « Bien, dit-il avec un sourire audible. Alors mets-toi en route.
» Un long voyage t’attend. »
Un éclair déchira le ciel, le grondement de la foudre faisant trembler le monde tout entier. Son estomac cria famine, mais elle fut incapable d’avaler quoi que ce soit. Elle resta simplement là, le regard perdu dans les flammes dont la lumière se reflétait sur le métal froid de son faux visage.
« Je suis tellement fier de toi »
Menteur
Un frisson la parcourut, un nouvel éclair zébra le ciel, et la jeune femme leva les yeux. Loin derrière ce rideaux grisonnant de tempête, elle pouvait voir briller les sept étoiles scintillant au-dessus de Luminia. Seulement sept, perdues dans l’infinité d’un ciel de Ténèbres éternelles et insondables. Il lui arrivait de se demander si elles se sentaient seules, elles aussi.
« Je t’aime »
Elle lutta, mais le sommeil gagnait peu à peu du terrain, refermant ses griffes acérées sur son esprit embrumé. Sachant son combat perdu d’avance, elle se laisse aller entre les racines du vieil arbre, emmitouflées comme une enfant apeurée dans son vieux torchon, comme s’il s’agissait d’un rempart contre ce monde froid et cruel.
Et lentement, la jeune femme ferma les yeux, attirée dans le néant par une promesse qui résonnait en elle comme une malédiction.
« Et je serais toujours avec toi »